Au milieu des années 1990, Ibiza, c’est à la fois les Guetta, un marathon de clubbing boum-boum, des autorités locales je-m’en-foutistes, des mecs bodybuildés en string et des villas archicoûteuses louées par des groupes de quinze. Très vite, les gays ont boudé l’île, lui préférant Mykonos ou Barcelone. Mais aujourd’hui, Ibiza change. Somptueuses demeures nichées dans les hauteurs de l’île, nouveaux bars et restos branchés, hôtels design, petites criques paradisiaques sans béton : Ibiza serait-elle enfin décidée à dévoiler d’autres atouts que la fête low-cost ?
On a confié à votre dévoué serviteur la tâche d’« enquêter ». Ma mission : passer une semaine sur place pour sortir, flirter, bronzer, flâner, manger, discuter. Mon objectif : savoir si les gays sont de retour sur l’île, ou pas. Je pense à la sublime Jade Jagger me montrant ses créations de bijoux, je revois les clichés de Kate Moss en vacances chez les photographes de mode Mert Alas et Marcus Piggott installés sur l’île, je me remémore les frasques de P. Diddy dans les clubs et sur son yacht amarré au large des Baléares. Ni une, ni deux, je saute dans l’avion.
La vieille ville d'Ibiza © Forbfruit
En débarquant à l’aéroport, on est happé par les banderoles et les publicités vantant les fêtes dans des clubs gigantesques. Dès le tapis de bagages, on est littéralement agressé par les noms des DJs en couleurs criardes et la fameuse Troya qui vous regarde droit dans les yeux. Vraiment assassine, pour le coup. À peine arrivé à l’hôtel, les valises vidées, on commande un taxi pour la vieille ville d’Ibiza qui entoure la fameuse citadelle. Dans le guide, on parle du Soap comme le bar où il faut être vu. Tout est dit : on y va.
(Crédit Photo haut de page : Rafa et Santi, nos deux guides à Ibiza © François Rousseau)
Sur la belle terrasse bondée, des clients de tous âges, assez beaux, assez bronzés, assez musclés s’observent. Deux vodkas caramel plus tard, le serveur demande : « D’où venez-vous ? » Tentative d’approche millénaire… Identité déclinée, non sans ajouter que nous sommes en mission pour vérifier si Ibiza vaut encore le coup. Son sang ne fait qu’un tour. « Bien sûr, quelle question ! Je m’appelle Rafa, et j’en fais une affaire personnelle. Je suis de Majorque, mais je travaille en tant que saisonnier à Ibiza depuis longtemps. Je connais l’île comme ma poche. Depuis les Phéniciens, elle ne cesse d’envoûter ses visiteurs, alors, vous n’y échapperez pas. J’ai une pause pour manger. Rejoignez-moi dans une heure, et on en parle. »
Comment refuser une telle invitation ? Et nous voilà en plein trip sangria-tortilla pendant que Rafa le beau brun avale une paella vite fait. « Plusieurs communautés, avant les gays, ont plébiscité cette belle île. Le visiteur n’arrive plus à la quitter. J’ai même lu quelque part qu’on parlait de magie blanche. Franchement, je n’y crois pas, mais c’est vrai que l’île fascine. C’est si beau, ici ! Dans les années 1960, la communauté hippie ne s’y est pas trompée. Elle a vécu dans ce royaume de la tolérance, en adéquation avec la nature. Trente ans après, les gays en ont fait leur propre éden avant de la bouder. Mais ils commencent à revenir ! » À la fin du repas, Rafa est devenu un pote. Il est intarissable sur Ibiza, une île qu’il aime parcourir avec son ami Santi. On l’écoute.
La plage d'Es Cavallet © David Sim
La plage
« Lorsque je rentre au petit matin, j’arrive difficilement à m’endormir à cause de la chaleur. Avec Santi, on a pris l’habitude d’aller à la plage assez tôt. On se repose en bronzant et les embruns marins apportent de la fraîcheur. Il y a une cinquantaine de plages tout autour de l’île. Ma préférée, comme pour beaucoup de gays, s’appelle Es Cavallet. On y accède en traversant les salines. De fin juin à fin août, c’est un peu la folie, mais on parvient toujours à poser nos serviettes. Une partie de cette plage est privée. Ceux qui préfèrent louer des transats ne sont pas dispensés d’arriver tôt non plus. Ce n’est pas le lieu idéal pour passer inaperçu ou pour être au calme en amoureux. Mais bon, si on vient à Ibiza c’est aussi pour se montrer. Si vous insistez, je peux vous indiquer une jolie petite crique, un peu à l’écart où l’on peut faire du nudisme. Cala Pluma se trouve au bout de la plage de Las Salinas. »
Formentera
« On est aux antipodes d’Ibiza. Ici, pas la peine de chercher des lieux calmes et paisibles, il n’y a que ça. À environ trente minutes en ferry du port d’Ibiza, c’est le dépaysement total. La proximité fait que j’y vais souvent seul pour la journée, je m’y ressource. Les eaux cristallines sont d’un turquoise unique et les longues plages de sable blanc, vraiment idylliques. Ma préférée ? Ses Illetes. Si vous passez quelques jours à Ibiza, prenez le temps de vous échapper une journée à Formentera. Il n’y a presque pas de voitures. La journée se passe à écouter de la musique, piquer une tête dans l’eau puis déjeuner d’un poisson à la plancha avec des légumes arrosés d’huile d’olive. Grignotez du fromage de chèvre et des figues, les spécialités de l’île. Un pur délice. »
Formentara © Hans Werner Schneider
La noche
« Après la plage, on rentre se doucher et se préparer pour la soirée. Les gens font souvent la tournée des bars autour de la citadelle. Ils ont toujours un pote à voir, s’arrêtent pour un verre, repassent plus tard. Une petite virée rue de la Virgen est indispensable. C’est là où se trouvent plein de petits bars gays. On vient y boire un chupito – un shooter –, ou carrément un verre si on repère un joli garçon. Mais les deux bars les plus populaires sont incontestablement le Soap et Angelo. Ça tombe bien, ils sont côte à côte.
Aux alentours de minuit, les promoteurs de soirées envoient des drag-queens accompagnées de go-gos faire des animations sur la terrasse et distribuer quelques flyers de remise sur le prix d’entrée de leur soirée. C’est toujours bon à prendre ! Sinon, il est fréquent que les barmen mettent sur la liste certains bons clients. Tout dépend du ton que vous voulez donner à votre nuit. Il y a plusieurs possibilités. L’Anfora est la seule discothèque vraiment gay d’Ibiza. Elle se trouve dans la vieille ville. Ne cherchez plus la volière que vos amis ont connue en 1999, elle a disparu. Ouverte tous les jours de la semaine, l’Anfora rassemble beaucoup de monde autour du disco et de la pop commerciale, et – surtout ! – de la dark-room.
Mais si vous avez envie de gros son, il faut prendre la voiture et se diriger vers le Space, le Pacha, L’Amnesia ou Le Privilège. La programmation y change tous les soirs. De juin à septembre, des DJs de renom se succèdent aux platines de ces énormes discothèques dont l’entrée avoisine les 50 €. Passer une soirée dans l’un de ses clubs est une expérience à vivre au moins une fois. Il y a plein de stars qui viennent chaque été pour faire la fête, avec leur lot de paparazzi. Mon petit conseil : lorsqu’au petit matin, vous sortez de l’Anfora ou d’une des grandes usines à sons avec un petit creux, allez au Croissant Show. Ouverte par un Français au pied de la citadelle, cette boulangerie sert café et crème, ainsi que de délicieux croissants au jambon. »
Dalt Vila
« La citadelle et ses remparts sont le symbole de la vieille ville, et un nid de coins romantiques pour celui qui sait s’y aventurer. Lorsqu’en fin de journée, je vais avec Santi à Dalt Vila (la ville haute), on passe un moment à regarder la mer, les salines et le petit port naturel. Je trouve la vue sublime. N’oublions pas qu’il y a 2 700 ans, les Carthaginois se sont trouvés au même endroit et, subjugués par tant de beauté, ont décidé d’y ériger une cité… Bref, le meilleur moyen de dénicher des recoins isolés est de flâner et se perdre dans les ruelles.
Il y a bien sûr les rues où vont tous les touristes, mais il suffit d’emprunter un petit chemin de traverse pour se retrouver, seuls, dans une courette sous un bougainvillier. Idéal pour un baiser passionné ! En redescendant, on s’arrête avec Santi boire une cerveza, une bière, et déguster quelques tapas à Sa Penya, l’ancien quartier de pêcheurs. En été, l’île est bondée, mais la solitude n’est pas le luxe des milliardaires. Demandez à un gars d’ici, il vous indiquera un coin reculé ou même une crique où le cri des mouettes n’est perturbé que par le ballet des vagues. Attention, un touriste qui vient pour la première fois serait tenté de se rendre à Sant Antoni au Cafe del Mar, célèbre dans le monde entier pour ses compilations. Moi, je n’y emmènerai pas mon chéri. Il y a beaucoup trop de touristes et les blocs de béton sur la plage me dépriment. Je préfère de loin Es Vedrà. »
La citadelle © Forbfruit
Es Vedrà
« J’adore la plage de Cala d’Hort. La magie du lieu prend la forme d’un îlot rocheux, au large, du nom d’Es Vedrà. J’y vais avec Santi quand on a envie d’être tous les deux. Si d’aventure vous y allez pour la journée, on y loue des transats et on trouve quelques petits restaurants en hauteur. La route est un peu difficile mais le rocher est si majestueux, ça vaut le coup. On raconte beaucoup de trucs sur le magnétisme irrésistible de ce rocher, comme ces histoires de femmes hippies qui tenaient toutes à y accoucher. Une chose est sûre, au moment du coucher du soleil, le rocher est nimbé de lumière, créant une atmosphère tellement romantique qu’on a juste envie de se blottir dans les bras de son chéri et d’y passer la nuit. »
L'îlot d'Es Vedra © François Rousseau
Le regard de braise de Rafa se perd dans le vide. Je pense à Étienne Daho, qui d’ailleurs possède une villa sur l’île, et à une de ses chansons. « L’amour fou qui fait battre mes veines / Te dire tout, de la chaleur qui m’enfièvre / Provoque en toi des réactions en chaîne / Viens à moi ! / Rendez-vous à Vedrà… » Le rendez-vous est pris avec Rafa et Santi. Promis, on reviendra à Ibiza !
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