Aux députés qui rêvent soudain d’un Airbnb français,
après l’avoir freiné pendant 5 ans
Paris, le 12 mai 2020 - Jeudi dernier, un groupe de députés présentait 34 propositions de soutien aux entreprises françaises du Tourisme, frappées par la crise du COVID-19. La 34ème (favoriser la création d’un "AirBnB France”) a fait bondir Matthieu Jost, fondateur de la plateforme française de locations de courte durée misterb&b. Alors que le gouvernement arrête demain son plan Tourisme, M. Jost tient à rappeler que les efforts des législateurs pour stopper les géants du web ont surtout fait des victimes collatérales, freinant, parfois mortellement, le développement de jeunes startups et acteurs français de ce secteur.
"Les entrepreneurs français, dont je suis, n’ont pas attendu la crise du Covid-19 pour réfléchir à un “airbnb français”, n’en déplaise aux députés auteurs et signataires du plan “pour que vive le tourisme français”. Pourquoi “favoriser la création” d’une hypothétique plateforme quand il aurait suffit d’aider les plateformes alternatives françaises comme misterb&b, que j’ai fondée, Sejourning ou d'autres ?
Créée en 2008 alors qu’Airbnb n’était pas présent sur le marché français, Sejourning.com proposait le même système de location de particulier à particulier pour des séjours de courte durée. Mais face à la puissance financière de son concurrent américain, Sejourning n’a pu que constater l’inertie des forces vives françaises et les difficultés à se financer, malgré une levée de fonds de 3 millions d’euros, grâce notamment à un accord avec le groupe TF1. Comment lutter contre des concurrents armés de milliards de dollars ? Il faut grandir, vite, mais les freins en France étaient alors bien trop nombreux. Blablacar aurait-elle pu réussir ainsi à l’international si elle avait dû affronter un concurrent américain comparable ?
Née de la rencontre de 2 entreprises françaises et de leurs 4 fondateurs, misterb&b est une déclinaison de ce système de location de particulier à particulier, dédié à la communauté LGBT. Loin de tout communautarisme, le service est ouvert à tous et permet aux voyageurs, hommes, femmes, LGBT ou non, de voyager en toute sécurité, hébergés chez des hôtes LGBT ou indifférents à l’orientation sexuelle de leurs voyageurs. Notre naissance compliquée est un autre exemple des freins rencontrés en France.
Après des débuts très prometteurs, nous avons cherché à financer notre croissance. Mais mal à l’aise avec notre approche “LGBT”, l’ensemble du milieu financier français, y compris la BPI, nous a refusé l’accès à ces capitaux. Ce n’est qu’exilés aux États-Unis que nous avons pu trouver les fonds nécessaires. La médiatisation de notre success-story dans la Silicon Valley nous a permis de rentrer en France et de finaliser, en 2017, une levée de fonds cruciale auprès de fonds d’investissement français et allemand. Aujourd’hui, avec 15,5M d’euros levés, le capital de notre entreprise est toujours majoritairement français.
Autre frein, réglementaire cette fois : l’exercice de notre activité en France est régi par la loi Hoguet et nous avons été contraints d’inscrire notre entreprise comme “agence immobilière” et d’obtenir une carte de gestion immobilière quand nos concurrents opèrent sans contraintes comme “Conseil en systèmes et logiciels informatiques”.
Nous exerçons aujourd’hui dans un cadre législatif beaucoup plus rassurant, mais nous ne pouvons que regretter la vision manichéenne qui a présidé à la définition des règles du marché en France.
Effets collatéraux des lois contre les géants du web
Ainsi, aucune distinction n’est faite entre, d’une part, la location de logements dédiés, accusée de dérégler le marché locatif, et la location d’une chambre chez un particulier ou celle, ponctuelle, de sa résidence principale, définition même de l’économie collaborative dans laquelle s’inscrit misterb&b (85% des logements loués sur misterb&b sont des chambres chez un particulier).
Les règles pensées contre les géants du web menacent l’existence d’entreprises françaises bien incapables d’investir dans du lobbying auprès des pouvoirs publics. Les amendes pénalisent beaucoup plus en proportion les jeunes startups encore fragiles ou les petits acteurs. Ainsi, l’entrée en vigueur de la loi ELAN encadrant la location de courte durée en France a eu un effet dévastateur pour notre entreprise, avec la suppression de dizaines de milliers d’annonces en France, alors que l’activité des géants n’a pas été ralentie. Cette loi a aussi entraîné la fin accélérée d’un autre acteur français de ce marché, Bnbsitter.
Malgré tous ces freins, nous sommes parvenus à devenir leaders de notre marché, avec 1 million d’utilisateurs et une présence partout dans le monde. Nous sommes fiers d’être l’une des entreprises françaises du tourisme qui ont réussi à l’international, en se distinguant des géants du marché : offre diversifiée et multicanal ; chiffre d’affaires monde (hors États-Unis) réalisé et déclaré en France ; collecte des taxes de séjour et reversement aux communes françaises ; 85% des locations misterb&b dans des chambres de particuliers et non des appartements entiers ; enregistrement comme agence immobilière, dans le respect de la loi Hoguet.
Nous venons d’interpeller le Gouvernement sur ce dernier point, afin de ne pas être oubliés dans le plan d’aides spécifiques aux entreprises du Tourisme. Si nous ne pouvions bénéficier de ces aides et perdions dans la foulée le bénéfice de la prise en charge totale du chômage partiel, l’avenir de nos salariés français serait fortement compromis.
Alors, favoriser la création d’un “airbnb français” ? Et si vous encouragiez plutôt ceux qui sont déjà à l’oeuvre ?
- Distinguez la location de logements dédiés et la location de chambres chez l’habitant ou la location ponctuelle de la résidence principale.
- Créez un cadre juridique unique, opposable à tous, pas uniquement aux entreprises françaises.
- Allégez les contraintes des petites structures pour leur laisser le temps de grandir et de se financer.
- Modernisez les structures du tourisme (Atout France, offices du tourisme, …) afin d’y intégrer davantage les acteurs locaux du numérique.
- Soyez conscients enfin que certains hôteliers, par leur conservatisme, ont contribué à bloquer le développement d’initiatives comme la nôtre, sans pour autant leur permettre d’échapper aujourd’hui au diktat des géants du web.
Notre pays sort de 6 longues semaines de confinement, une crise économique sans précédent menace l’Europe toute entière. Dans l’esprit de l’économie collaborative, nos services seront une des solutions offertes à de très nombreux particuliers, certains parmi les plus fragiles, pour bénéficier de revenus complémentaires essentiels en cette période, dans le respect de toutes les réglementations actuelles. J’en suis intimement convaincu."
Matthieu Jost, cofondateur de misterb&b